ROSEBUD
L’idée de l’enfance, l’enfance d’une idée : deux versants pour ManiFeste 2019, le rendez-vous de la création musicale dans le concert des autres disciplines. En ouverture, Lullaby Experience de Pascal Dusapin, un rêve de jeunesse, une constellation de berceuses individuelles, autant de Rosebud qui voltigent dans la chambre de l’enfant. En clôture, Samedi de Lumière, rituel liturgique de Stockhausen. Avec l’épopée Licht, monde des hantises infantiles et des archétypes, la trajectoire de Stockhausen s’est infléchie de l’original vers l’originel, de l’invention tous azimuts vers l’Unité édifiante, monumentale et religieuse. Ce désir de fusion, d’immersion et de continuum retentit aussi dans toute la conquête de la musique spectrale. De Scelsi à Harvey, des Nymphéas de Monet à ceux de Saariaho, mais aussi de Xenakis à Bedrossian, du cinéma de Man Ray à celui de Peter Tscherkassky, ManiFeste guette les sources et les liations. Enfance et archéologie d’une idée, Rosebud à nouveau.
Comment donner corps, chœurs et cris aux hantises du passé et au tumulte du présent ? Une foule se déclare face à l’assemblée des spectateurs, Lab.Oratorium naît de l’Europe en miettes et de l’individu errant. Philippe Manoury poursuit ici un désir ancien : refléter la clameur du monde par la multitude sonore, rapprocher voix parlée et chantée, contaminer le concert par le théâtre. Faire œuvre ou faire dispositif – c’est-à-dire pratique et discours, théâtralisation et visualisation, cette ligne de front traverse tout ManiFeste. Ainsi Simon Steen-Andersen dynamite-t-il l’exercice même du concert, pour le transformer en piège visuel et sonore, univers du geste amplifié et du déchet récupéré. Œuvre - Dispositif ? Ce choix appartient pleinement à la jeune création, bien décidée à enterrer le xxe siècle qui l’a enfantée.
Frank Madlener, directeur de l'Ircam